Isma Cess - La fin de leur monde

Paranoïd Park, Martigues, 2022

Dans son roman “Je brûle Paris”, Bruno Jasienski imagine un film photographique dont la pigmentation serait issue de la superposition de tous les souvenirs d’un même individu. Si l’artiste Ismaël Bazri se prêtait à une telle expérience, sa feuille photosensible serait sans doute empreinte d’une teinte impossible à décrire; une émulsion moirée d’une tonalité acidulée évoquant aussi bien les douceurs adulescentes dans une torpeur estivale, que les jeans délavés d’une époque révolue, ou les pages froissées d’un périodique de papier glacé. Réduire les recherches d’Ismaël Bazri à l’artifice de la couleur n’est pourtant pas lui faire honneur. Sa série “La fin de leur monde” illustre d’ailleurs toute la subtilité de sa pratique. A première vue, rien ne distingue les photographies de cette série de celles que l’on pourrait retrouver dans l’un de ces magazines de mode où le photographe a fait ses premières armes: cadrage chirurgical, lumière dramatique, pose lascive des modèles dont les tenues sont étudiées au millimètre. A y regarder de plus près, on distingue invariablement en arrière-plan des monuments de notre société industrielle. Les raffineries de pétrole et centrales nucléaires sont autant de rappels qu’une consommation effrénée a un coût qui se répercute sur l’environnement. La frivolité exacerbée des protagonistes de la série est le miroir de notre inaction face aux menaces écologiques. Ismaël Bazri met a nu toutes les contradictions d’un système qui provoque son propre anéantissement. En retournant les codes de ce système, dans une saturation de formes agréables à l’oeil, le photographe rappelle la célèbre formule de Victor Hugo pour qui “le fond c’est la forme qui remonte à la surface”.

Andy Rankin, Revelations Emerige X, 2023